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 Je tague donc je suis, tu tague donc j'essuie

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AuteurMessage
Callie Rose

Callie Rose


Nombre de messages : 4
Age : 33
Date d'inscription : 07/08/2006

Je tague donc je suis, tu tague donc j'essuie Empty
MessageSujet: Je tague donc je suis, tu tague donc j'essuie   Je tague donc je suis, tu tague donc j'essuie EmptyLun 7 Aoû - 22:03

C'est le titre du concours d'expression écrite interne à mon école. C'est un double monologue, il se passe à Namur (en Belgique ^^) et c'est successivement le tagueur et l'ouvrier communal qui parle.
Voici mon texte :

Je tague donc je suis, tu tagues donc j’essuie


Je ne sais pas pourquoi je suis là ce soir, ni même ce que je viens y faire, une brusque impulsion m’a poussé ici : devant ce mur.
Une craie à la main, je commence. Je trace une courbe malhabile, rectifie un trait, intensifie une couleur, en fane une autre. Je suis dans une sorte de transe, mon "dessin" parle pour moi, je ne sais pas parler donc je "dessine".
Je recule de trois pas et reste figée devant l’audace de mon geste, moi d’habitude si timide, si réservée, je suis stupéfaite devant ma manoeuvre.
Sur le mur se dresse un mot, un seul en imprimé, bleu nuit sur le mur blanc. En réalité je ne dessine pas, j’écris mais je ne saurais pas écrire ça sur une feuille de papier, c’est trop grand, trop fort, trop triste. Tout ça à la fois.
Sur ce mur qui était d’une blancheur immaculée – même s’il parait gris en cette nuit noire – s’étale un mot, le mot qui résume mon état physique, mon état d’esprit.
Qui me résume.
Mal.
Brusquement, je détourne les yeux, je n’ai pas honte de ce que je viens de faire, je n’ai pas honte mais je suis triste. Cette brusque tristesse qui m’étreint le cœur, je ne sais pas d’où elle vient.
Je prends conscience que je viens de… taguer !
Oui, moi, j’ai tagué et j’en suis fière, fière de l’avoir fait, fière d’avoir osé m’exprimer de cette manière. Je n’ignore pas ce que l’on fait aux tagueurs et franchement, je m’en moque, ils peuvent me faire ce qu’ils veulent, ce n’est pas eux qui vont m’empêcher de m’exprimer ! J’ai tagué et je me suis libérée. Libérée du poids qui m’oppressait depuis tant de temps.
C’est tellement agréable comme sensation, comme si j’étais soulagée d’un poids qui pesait en permanence sur mes épaules depuis trois longues années.
Je signe en bas, une petite signature si frêle comparée au mot au dessus.
Evyl.
Je le contemple encore quelques secondes puis je m’éloigne.
Je m’éloigne du mur.
Je m’éloigne dans la nuit.
Soulagée.

Jour de boulot comme les autres, j’enfile ma combinaison, prend mon matériel et part travailler.
Aujourd’hui, on m’a assigné la place St Aubain, j’en fais rapidement le tour mais je repère tout de suite le tag.
Il est sur le mur ouest de la cathédrale St Aubain, je l’examine, stupéfait. Il ont du s’y mettre à dix pour le faire !
Sur toute la largeur s’étale un énorme tag, si gros qu’on pourrait croire qu’il y en à plusieurs mais non, c’est un seul mot, un seul et unique qui crie qui tel malaise que je ne peux pas y rester là sans rien dire.
Je commence à jurer dans ma barbe, soupire et pense : Jean-Rémi mon vieux, au boulot !
Je commence à l’effacer, une vive colère et une grande lassitude s’empare de moi. Pourquoi est-ce que ces jeunes se sentent-ils obligés de dégrader les bâtiments ? Au lieu de ça ils pourraient aller s’exprimer dans un atelier de peinture où je ne sais pas moi !
Mes yeux tombent sur un petit mot en bas du tag, si frêle que je l’efface d’un coup, sans presque y penser.
Pourtant, même si mes yeux ne s’y sont posés qu’une fraction de seconde, ce nom me hante, m’empli d’une hargne furieuse envers cet "Evyl" qui s’amuse à dégrader juste pour s’amuser et surtout pour faire ch… enquiquiner son monde.
J’en suis à la moitié et la journée est déjà bien avancée. Il m’en faudra encore une autre pour parvenir à effacer entièrement ce tag du mur. Du mur. Pas de mon coeur.
Parce que, sans que je m’en rende compte, le malaise du tagueur est venu jusqu'à moi. Ces traits si malhabiles sont criants d’un mal de vivre si profond qu’ils me touchent. Qui aurait pu le croire ? L’ouvrier communal que je suis est touché par ce tag !
Plus je regarde le graffiti, plus le sentiment que j’ai en moi grandi. J’ai l’habitude des tags, la plupart sont orduriers, fait par des jeunes hommes. De la racaille comme on les appelles. Main non, ce tag là est différent. Inexplicablement mais indéniablement. C’est une file qui l’a fait. Et une fille "de bonne famille" !
Presque malgré moi, ma hargne retombe, sans que j’en sache la cause. Je reprends mon matériel. Je finirais demain.
Je contemple quelque seconde le reste de ce tag.
Je m’éloigne du mur.
Je m’éloigne dans le jour déclinant.
Troublé.

Voici voilà, fin de mon texte, j'espère qu'il vous à plu. (J'ai été deuxième lauréate du concours pour l'info ^^)
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